Préambule : méthodologie de l’étude

L’étude dont nous présentons ci-dessous les principaux indicateurs, a porté sur 11 pays francophones d’Afrique subsaharienne, auxquels s’ajoute Madagascar, trait d’union entre l’Afrique et l’océan Indien : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal et Togo. Cette étude, menée à l’initiative de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, s’appuie sur un long questionnaire élaboré avec l’appui de Serge Dontchueng Kouam, directeur des Presses universitaires d’Afrique, basées à Yaoundé au Cameroun, puis envoyé aux différents professionnels du livre des pays concernés. Malgré tous les efforts de l’équipe qui a collecté les données, le taux de retour n’a pas été aussi satisfaisant que souhaité, de sorte que pour certains pays seuls un ou deux questionnaires ont pu être traités. En outre, certaines réponses étaient très lacunaires et, parfois, se contredisaient d’un questionnaire à l’autre. Cette situation est sans aucun doute significative d’une insuffisante structuration du milieu du livre dans certaines zones, d’un certain délaissement institutionnel de l’édition et de la librairie, ainsi que d’un manque d’informations pertinentes. Il faut dire que les chiffres font cruellement défaut et que les statistiques sont inexistantes, faute d’enquêtes publiques. Pour compenser ces manques, l’étude s’est tournée vers les ressources numériques, lorsque, du moins, elles existent. Néanmoins, un certain nombre de lois, de décrets, de dispositifs, ne se trouvent pas en ligne, de sorte que des précisions chiffrées n’ont pas pu toujours être apportées.

Il n’en reste pas moins que, pour la première fois, une présentation comparative des politiques publiques du livre en Afrique subsaharienne peut être proposée. Elle devrait inciter les pouvoirs publics à mettre à plat la réalité de la filière et à enrichir leurs dispositifs de soutien.

Introduction

En Afrique subsaharienne francophone, la mise en place de politiques publiques de la Culture, et plus encore du livre et de la lecture, reste encore aujourd’hui, selon les pays et sauf de rares exceptions, une réalité incertaine et fragmentaire, malgré différents effets d’annonce. Leur nécessité se fait pourtant d’autant plus fortement sentir qu’une véritable économie de la Culture s’est développée dans cet espace au cours des dernières décennies. En outre, tous les pays concernés ont signé la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005, reconnaissant ainsi le besoin d’encadrer et d’encourager la production locale des biens culturels et leur circulation dans un marché mondialisé.

Après les Indépendances, il est vrai, les États africains ont été confrontés à de nombreux défis auxquels ne les avait nullement préparés le colonisateur, dans l’organisation de la vie politique, le développement économique, la constitution d’un corpus législatif ou encore la mise en place d’un système éducatif et de santé. Dans ce contexte, la Culture et le livre ont rarement été une priorité, mis à part sans doute en Côte d’Ivoire, avec la constitution dès 1961 du Centre d’édition et de diffusion africaines (CEDA) et au Sénégal, où un Senghor convaincu de la place centrale de la Culture dans le développement initiera en 1972 le lancement d’une maison d’édition à vocation panafricaine, les Nouvelles éditions africaines (NÉA).

La création à Niamey, en mars 1970, de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) jette certes les bases de possibles politiques de la Culture et de la lecture, sinon nationales, du moins francophones. En raison de controverses politiques et d’un manque de moyens financiers, son action dans le domaine considéré restera toutefois limitée à quelques opérations ponctuelles et bien circonscrites, sans que soit véritablement recherchée la structuration de la filière du livre dans les pays africains. Il faut, de fait, attendre la nouvelle impulsion donnée à la Francophonie institutionnelle par l’instauration des Sommets francophones, à partir de 1986, puis, surtout, la transformation de l’ACCT en Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) lors du Sommet de Cotonou de 1995, pour qu’un tournant important soit marqué dans l’action francophone en direction du livre.

De façon plus générale, la question des politiques publiques de la Culture et du livre va se trouver posée avec davantage d’acuité à partir des années 1990 sous l’effet de quatre facteurs. D’abord, à l’occasion des débats internationaux qui entourent la création de l’OMC et la volonté américaine d’élargir à tous les services la « globalisation » économique, émerge la notion d’ « exception culturelle » 1, qu’entend défendre l’OIF à partir du Sommet de Maurice de 1993, puis celle de « diversité culturelle » à promouvoir, qui se substitue à la première à la fin des années 1990 et conduit au vote de la convention de l’Unesco de 2005. Ensuite, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI/WIPO) milite activement en faveur d’une actualisation et d’une mise à niveau de la législation sur le droit d’auteur, tout particulièrement après le traité de décembre 1996 2. D’autre part, comme annoncé plus haut, les nouveaux axes d’intervention de l’OIF supposent que son soutien soit désormais conditionné à la mise en place de politiques nationale du livre dans les pays du Sud. Enfin, et de façon tout particulièrement significative, il faut souligner l’émergence dans ces mêmes pays d’une génération de jeunes éditeurs et éditrices indépendant.e.s, qui vont chercher à se regrouper pour faire pression sur les pouvoirs publics, à travers notamment l’association Afrilivres et l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI) 3 . La signature de la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles parachève le mouvement en mettant l’accent sur le rôle des industries culturelles nationales dans le processus de développement.

Pour autant, si des signaux encourageants peuvent être relevés depuis, les politiques publiques du livre restent encore lacunaires, plus ou moins grandement d’un pays francophone à l’autre, et le chemin reste long à parcourir pour soutenir activement la bibliodiversité.

L’encadrement juridique

Dans l’ensemble des pays étudiés, deux grands types de textes législatifs viennent encadrer le marché des biens culturels et, plus spécifiquement, la production et la circulation des livres. Ils portent d’une part sur le contrôle de l’expression, de l’autre sur le droit de la propriété intellectuelle.

Le contrôle de l’imprimé

De manière générale, le contrôle de la parole en Afrique subsaharienne francophone passe par des Codes de l’Information, de la « presse » ou de la Communication, textes législatifs adoptés depuis 1990 pour le plus ancien (la loi sur la « communication sociale au Cameroun »). Ces textes législatifs portent principalement sur la presse et l’audiovisuel, et parfois sur l’information numérique, comme avec la loi sénégalaise sur la Cybercriminalité de 2008. L’édition n’y est souvent concernée nommément qu’au détour de tel ou tel article. Mais on peut supposer que l’ensemble du Code s’applique à elle.

Les lois en question s’inspirent le plus souvent fortement de la loi française du 29 juillet 1881, dite « sur la liberté de la presse ». De fait, elles affirment toutes en préalable la liberté d’expression, souvent en reprenant les termes mêmes du célèbre Article 1 de la loi française : « L’imprimerie et la librairie sont libres » (où le terme de librairie renvoie indistinctement aux activités d’édition comme à la vente du livre). Mais, comme pour cette dernière, c’est pour introduire immédiatement toute une série de limitations à cette liberté, elles aussi profondément inspirées du modèle français (l’exemple du Code de la Communication malgache est particulièrement parlant à cet égard) : diffamation, insulte au chef de l’État, propagation de fausses nouvelles… Ou encore « outrage aux bonnes mœurs », voire tout simplement à la « décence » (au Burkina Faso, par exemple). Une telle notion, jamais définie et qui se prête à toutes les interprétations et restrictions d’expression (et qui d’ailleurs n’a disparu en France que lors de la refonte du Code pénal de 1994), se fait évidemment un puissant instrument de censure, tout particulièrement lorsqu’elle peut être interprétée de façon très large et lorsqu’elle joue avec d’autres limitations récurrentes à la liberté d’expression comme le risque de « trouble à l’ordre public » ou encore, au Bénin, l’atteinte aux « valeurs communément admises dans le corps social »… De telles dispositions sont, en revanche, il faut le noter, absentes des Codes maliens et nigériens.

Les publications destinées à l’enfance et à la jeunesse

Plusieurs des Codes de la Communication, notamment au Bénin et au Niger, incluent par ailleurs une section spécifique consacrée aux publications destinées à l’enfance et à la jeunesse qui s’inspire largement, là encore, d’une loi française, la loi du 16 juillet 1949, et introduisent de nouvelles limitations liées à la « nécessaire » protection de cette catégorie de la population, vis-vis de la pornographie ou de la violence. En Côte d’Ivoire, la « loi relative à l’industrie du livre » de 2015, en son Article 19, interdit l’accès des mineurs « aux ouvrages dont les contenus sont nuisibles pour leur épanouissement » – notion bien floue, on en conviendra. L’interdiction de l’apologie du racisme, de la xénophobie, voire de toutes sortes de discriminations (fondées sur le sexe ou la religion, par exemple), se retrouve également dans plusieurs textes législatifs : au Burkina Faso, en Guinée Conakry, au Sénégal, au Togo, mais là encore ni au Mali ni au Niger.

Le Rwanda constitue un cas particulier où le contrôle de l’expression règne tout particulièrement. La « diffamation » supposée est passible de peines de prison, alors que les institutions judiciaires sont instrumentalisées par le pouvoir politique. Il convient de lire à ce propos le rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), intitulé : « La démocratie mise sous tutelle au Rwanda », notamment la partie 3.3, « Des médias muselés » (août 2017).

L’organisation du dépôt légal

Par ailleurs, plusieurs codes de la Communication, au Bénin, en Guinée, à Madagascar et au Togo, organisent le régime du dépôt légal, censément obligatoire dès la fin de l’impression (donc avant la mise en vente, sauf au Bénin où est indiquée simplement la mention : « sans délai »). Les autres pays ont institué un dépôt légal obligatoire avant commercialisation par des lois spécifiques ou des décrets, sauf au Rwanda où cette disposition semble facultative. Or l’on sait, depuis son instauration en France par François 1er, que le dépôt légal peut servir autant à l’exercice d’une censure potentielle qu’à une visée patrimoniale. Le nombre d’exemplaires à déposer par l’éditeur ainsi que, le plus souvent, par l’imprimeur varie de deux à huit selon les pays et les types de livres.

Le dépôt doit se faire auprès de la Bibliothèque nationale, qui n’existe souvent que sur le papier ou ne dispose d’aucun moyen matériel, ou ce qui en tient lieu, ministère de la Culture et/ou direction des Archives nationales. Dans certains cas toutefois, le rôle non patrimonial mais davantage de contrôle administratif, apparaît clairement : ainsi, à Madagascar et au Togo, certains exemplaires doivent parvenir au ministère de l’Intérieur ; en RDC, deux exemplaires sont à déposer auprès du Conseil législatif national ; en Guinée, la Haute autorité de la Communication (HAC) reçoit des exemplaires, de même que l’Autorité nationale de régulation de la Communication médiatisée à Madagascar. Cela dit, dans nombre de pays, comme par exemple au Burkina Faso, l’obligation du dépôt légal ne semble guère respectée.

Autres contrôles

En outre, dans certains pays, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Niger, les activités de production et de distribution du livre, y compris le colportage nommément visé, doivent faire l’objet d’une autorisation préalable. Madagascar demande de son côté que tous les travaux d’impression, de production ou d’édition soient inscrits dans des registres spéciaux tenus par l’imprimeur ou par l’éditeur.

Le droit de la propriété intellectuelle

Les douze pays de l’étude disposent d’une loi sur la propriété intellectuelle qui a été le plus souvent actualisée depuis les années 1990, de façon à répondre aux standards internationaux, même si le numérique n’y est intégré que de manière fort variable. Fait exception notable la RDC, dont l’ordonnance-loi date de 1986 et « n’est pas à la hauteur des engagements internationaux » du pays, selon l’OMPI en 20104. Néanmoins, si tous ont signé la Convention de Berne et son Acte de Paris de 1971 (sauf Madagascar pour ce dernier traité), seuls six pays ont, au début de 2019 (date de l’étude), adhéré au traité de l’OMPI de 1996 sur le droit d’auteur dans l’environnement numérique : Burkina Faso, Guinée, Madagascar, Mali, Sénégal et Togo. 

Le droit moral

Toutes ces lois, sauf la rwandaise, s’inspirent très fortement de la tradition du droit d’auteur français et tout particulièrement de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique que l’on retrouve parfois presque mot à mot, de même que dans l’accent mis, à travers une section spécifique, sur les particularités normatives du contrat d’édition. Cette même proximité juridique, qui s’explique aisément, se retrouve dans l’importance donnée au droit moral, dans le droit fil des conceptions française et allemande, alors que le Rwanda le mentionne certes, sous l’effet de la convergence internationale, mais semble n’y accorder qu’une moindre importance, selon la tradition anglo-saxonne.

Les droits patrimoniaux

En ce qui concerne la durée des droits patrimoniaux, la majorité des pays ont profité de la refonte de leur appareil législatif pour s’aligner sur les 70 ans après la mort de l’auteur qui apparaît de plus en plus comme la norme internationale, mais d’autres (le Cameroun, la RDC, le Rwanda et le Togo) en restent à 50 ans, tandis que la Guinée se distingue avec une durée de protection de… 80 ans. La règle est celle d’une rémunération proportionnelle (10 % minimum dans la loi congolaise), sauf au Niger et au Rwanda qui ne l’indiquent pas de manière formelle. 

Le « domaine public », qui commence après ces durées variables, est payant dans certains cas sous la forme d’une redevance, parfois après autorisation explicite d’un Bureau des droits d’auteurs. Il en va ainsi au Bénin, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, au Rwanda, au Sénégal ou encore au Togo.

Les expressions culturelles traditionnelles 

Les pays africains francophones ont par ailleurs souvent prévu, dans leur loi sur la propriété intellectuelle, des dispositions afin de protéger les expressions culturelles traditionnelles, parfois encore désignées du terme de « folklore ». Les traductions, adaptations, arrangements et autres transformations qui en sont issues doivent parfois faire l’objet d’une autorisation et exigent le paiement d’une redevance dont le montant est fixé par le ministère en charge de la Culture ou la société de gestion des droits d’auteur : ainsi, au Bénin, au Burkina Faso, en Guinée, au Mali, au Niger, au Rwanda (où la redevance est de 10 % pour les livres qui en sont tirés), en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Togo. 

Reprographie et contrefaçon

En revanche, seuls quatre pays, Madagascar, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Sénégal ont prévu des dispositions concernant une rémunération équitable pour la reprographie à des fins privées. Dans les quatre cas, elle doit être payée par les producteurs et les importateurs d’appareils et de supports matériels utilisés pour cette reproduction. La RDC, de son côté, prévoit, au moins dans le texte de sa loi, des sanctions en cas de « contrefaçon ». Dans la réalité néanmoins, et malheureusement, la reproduction illicite est un fléau en Afrique et touche tous les types de documents. Elle est tout particulièrement massive dans le domaine de l’édition scolaire pour les livres inscrits dans les programmes d’enseignement et affecte tout autant les ouvrages des éditeurs « du Nord » que ceux des éditeurs locaux. Il s’agit là d’une véritable entrave au développement de l’édition africaine.

La gestion du droit d’auteur

Les lois sur le droit d’auteur et la propriété intellectuelle ont aussi prévu, sans exception, la mise en place d’au moins une société de gestion du droit d’auteur5. Dans la grande majorité des cas, on a affaire à un « Bureau public des droits d’auteur », organisé sous la gouvernance du ministère en charge de la Culture (à Madagascar, il s’appelle Office malagasy du droit d’auteur).  

En règle générale, ces bureaux ne fonctionnent pas très bien et, quand leur nature publique n’est pas remise en question, les professionnels du livre regrettent qu’ils se préoccupent davantage du spectacle vivant (de la musique surtout), plutôt que de l’édition et que leur gestion n’est pas claire. Pour certains, comme le bureau malien, ils ne disposent pas d’un site Internet. Le Cameroun, la RDC, le Rwanda et le Sénégal ont, pour leur part, opté pour des sociétés de gestion collective de droit privé, ce qui ne garantit aucunement, aux dires des professionnels, un meilleur fonctionnement et une moindre opacité6

L’identification du livre

Enfin, un élément majeur, dans la structuration de la chaîne du livre en Afrique, et qui a trait tant au respect du dépôt légal et à la lutte contre la contrefaçon qu’à l’observance du droit d’auteur, tient en l’absence le plus souvent d’agence ISBN, que l’on ne trouve qu’au Bénin, au Cameroun, au Mali et au Rwanda. Dans les autres pays, les éditeurs doivent en passer par l’agence française, l’AFNIL, située à Paris. 

Fiscalité et régulation du marché

La TVA pour le livre 

Le livre – est-il besoin de le rappeler ? -, pour tous les défenseurs de la bibliodiversité, n’est pas un produit comme les autres et doit appeler à des mesures spécifiques, notamment sur le plan fiscal et réglementaire. Selon ce principe, dix des douze pays étudiés ont prévu au fil des années des exonérations totales de TVA pour le livre et, souvent, plus largement pour le matériel éducatif. Se distinguent toutefois le Togo et le Mali, qui appliquent un taux plein de 18 %, à l’exception des livres scolaires qui en sont exemptés. 

La taxation des entrants 

En revanche, l’ensemble des pays concernés appliquent une taxe sur l’importation du papier, du matériel informatique et des autres intrants nécessaires à la fabrication du livre, ce qui n’est guère de nature à favoriser le développement de l’édition locale. Il s’agit en fait d’un ensemble de taxes cumulatives, parfois « cachées », qui s’ajoutent à la TVA pleine pour approcher, voire dépasser, les 30 % du prix public, sauf au Mali qui applique un taux de TVA réduit à 5 %. À titre d’exemple, une étude de 2016 sur « le livre en Guinée7 », bien renseignée, indique un taux de 29,15 % pour le papier et le matériel informatique, de 35,15 % pour le carton, et même de 47,15 % pour l’encre. Le même rapport précise que le livre importé, qui représente plus de 80 % du volume circulant, fait l’objet d’une taxe de l’ordre de 2,75 %, alors que l’Accord de Florence est censé engager à l’exonération de toute taxe à l’importation, tant pour le livre que pour le matériel éducatif. 

Seuls la Guinée et le Sénégal n’ont pas, au demeurant, signé cet Accord qui a pu être contesté en ce qu’il est de nature à favoriser l’importation en provenance des grands pays aux industries culturelles puissantes, tout particulièrement dans le domaine du scolaire, au détriment du développement de l’édition locale ou régionale. La situation est plus contrastée en ce qui concerne le Protocole de Nairobi à l’Accord de Florence qui exempte de taxes à l’importation les intrants nécessaires à la fabrication du livre papier8 : on ne compte comme signataires que le Burkina Faso, le Niger et le Togo. 

La régulation du marché

La régulation du marché, au même titre que la mise en place d’un environnement fiscal incitatif, fait partie de la panoplie de mesures de politiques publiques potentielles en faveur du secteur du livre. Un seul pays s’y est pour l’heure véritablement attelé, la Côte d’Ivoire, qui a adopté en juillet 2015, une loi « relative à l’industrie du livre9 » dont, le premier décret d’application a toutefois attendu trois ans et demi pour être promulgué10. Elle est censée assurer le concours financier de l’État au « développement des activités liées à la chaîne du livre » ; exige qu’un budget promotionnel soit prévu au contrat d’édition par l’éditeur de tout livre ivoirien et que des tarifs publicitaires préférentiels soient accordés par les médias nationaux ; et prévoit l’achat par l’État et les collectivités locales d’exemplaires des nouvelles publications qui « enrichissent la bibliographie nationale ». La mesure la plus emblématique, qui s’inspire de l’exemple québécois, est toutefois l’obligation faite aux acheteurs institutionnels de faire leurs acquisitions de livres auprès d’un « libraire déclaré » (ch. 7), de façon à lutter contre la contrefaçon et la vente à la sauvette et à soutenir le réseau des librairies ivoiriennes. 

Le Cameroun, pour sa part, a adopté en décembre 2010 un Code qui régule le commerce numérique et dont la portée est générale11. En revanche, aucun pays ne s’est lancé dans des mécanismes de fixation des prix du livre, ni n’a entrepris d’encadrer les tarifs d’expédition d’ouvrages. En ce dernier domaine, le seul soutien pour abaisser les prix relève pour l’heure des négociations menées par la Centrale de l’édition, structure interprofessionnelle française, avec les divers transporteurs. 

L’organisation professionnelle

L’organisation professionnelle du secteur est appuyée de façon fort inégale selon les pays par les instances administratives en charge du livre. Bien souvent, les professionnels ne doivent qu’à eux-mêmes la constitution de leurs associations et à leurs efforts de conviction la mise en place de cursus liés à l’édition ou à la documentation dans les universités nationales. Il n’en reste pas moins que la structuration de la filière permet d’interpeller les pouvoirs publics qui, en retour, s’appuient sur elle. Ainsi, en Côte d’Ivoire, le ministère de la Culture mise sur la récente création d’un « Groupement des professionnels pour la défense et le développement du livre » afin de renforcer le mécanisme de lutte contre la contrefaçon. 

La formation

Formation à l’édition et à la librairie 

La formation, particulièrement à l’édition et à la librairie, reste encore un maillon faible dans la chaîne du livre pour les pays d’Afrique francophone subsaharienne, de sorte que, bien souvent, les étudiants et professionnels en activité ont eu recours aux formations dispensées par le Centre de formation à l’édition et à la diffusion (CAFED) de Tunis, programme de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui n’existe plus aujourd’hui, ou viennent se former en France ou au Canada. Il existe aussi des formations brèves proposées, en direction des libraires, par l’Association internationale des libraires francophones (AILF) en partenariat avec le Bureau international de l’édition française (BIEF) ou encore des sessions de formation éditoriale organisées par des réseaux professionnels comme Afrilivres ou l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI).

De fait, il n’existe qu’une une seule formation efficiente à la fabrication et à l’édition (et subsidiairement à la librairie), qui a été mise en place au Cameroun : il s’agit de la licence « Édition » de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (ESSTIC) à l’université de Yaoundé, qui se pratique en formation initiale. De rares autres départements universitaires tournés vers le journalisme et le numérique, à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, au Sénégal, ou encore à l’Université chrétienne bilingue du Congo, à Beni, proposent aussi quelques cours qui tournent autour de l’édition mais qui ne paraissent guère pouvoir prétendre à une visée véritablement professionnalisante.

Formation à la bibliothéconomie

Du côté des bibliothèques, des archives et de la documentation, en revanche, les cursus sont plus nombreux. La formation phare est sans conteste assurée par l’École de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes (EBAD) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, dont la notoriété dans le domaine de la bibliothéconomie est internationale. L’on compte également la filière « Métiers du livre » (bibliothéconomie, archivistique, documentation et numérisation) à l’IUT de l’université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako (ULSHB), qui offre DUT et licences professionnelles ; la formation à l’information documentaire dispensée à l’ESSTIC de Yaoundé ; l’Institut des sciences et techniques de l’Information documentaire (ISTID) de Ouagadougou, qui est un établissement privé agréé ; l’École supérieure des sciences de l’Information (ESSI) de l’université Julius Nyéréré de Kankan, en Guinée, bien que la formation semble y rester très théorique, selon les éditeurs interrogés ; au Bénin, le Centre de formation aux carrières de l’information (CEFOCI), de l’université d’Abomey-Calavi ; ou encore, au Niger, l’Institut de Formation aux Techniques de l’Information et de la Communication (IFTIC) et, en Côte d’Ivoire, l’École de formation à l’action culturelle (EFAC) de l’Institut national supérieur des Arts et de l’Action culturelle (INSAAC). Enfin, à Madagascar, l’on ne recense guère que des actions ponctuelles, organisées par le Consortium des centres de diffusion de l’Information scientifique et technique et des centres de ressources documentaires à Madagascar (CONSIST). L’OIF ou encore les associations internationales de bibliothécaires comme l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions) ou l’AIFBD (Association internationale francophone des Bibliothécaires et Documentalistes) organisent également ponctuellement des actions de formation continue. 

Les associations professionnelles

La chaîne du livre, en Afrique francophone subsaharienne, se structure peu à peu, même si le maillon de la diffusion-distribution reste problématique. Tous les pays étudiés connaissent, souvent depuis assez longtemps, une ou plusieurs associations d’auteurs. La plupart comptent aussi à présent une association d’éditeurs (voire deux au Cameroun, au moins sur le papier), à l’exception de la RDC, du Togo et du Bénin. Dans ce dernier pays, a existé une Association des éditeurs du Bénin qui ne semble plus guère en activité. Deux de ces associations – l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire et l’Association sénégalaise des éditeurs – sont par ailleurs membres de l’Union internationale des éditeurs/International Publishers Association (UIE/IPA). De même, l’on recense dans chaque pays une association des bibliothécaires, archivistes et documentalistes, à part en RDC et au Rwanda, tandis qu’au Niger elle semble avoir cessé ses activités. 

Il existe également, dans huit pays sur douze, une association de libraires, qui manque encore au Bénin, en RDC, au Sénégal et au Togo. Au Rwanda, éditeurs et libraires se retrouvent au sein d’un même ensemble, la Rwanda Publishers and Booksellers Union. Dans six autres pays, l’on retrouve un rassemblement interprofessionnel : élargi à l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, y compris aux auteurs, au Bénin et au Burkina Faso ; rassemblant les « professionnels du livre » en Guinée et désormais, en Côte d’Ivoire ; ou encore regroupant les éditeurs, imprimeurs et libraires du manuel scolaire en RDC. À Madagascar, ce ne sont pas moins de trois associations qui ont vocation à regrouper les professionnels du livre : la Fédération Malgache du livre et de l’écrit (FMTS), la Fédération Malgache des industries culturelles et la Synergie nationale des auteurs, éditeurs et libraires de Madagascar (SYNAEL). Elles viennent s’ajouter à l’Association des éditeurs de Madagascar (AEdiM). Cela étant, il resterait, dans les douze pays, à préciser les activités effectives de ces différentes structures, ce qui n’a pu être fait ici. Certaines mènent en tous les cas des actions notables. Ainsi, de l’association béninoise SeLiBéJ12 qui rassemble des éditeurs, des auteurs, des illustrateurs, des libraires et des distributeurs de livres pour enfants, avec l’aide des bibliothèques et des centre de lecture du pays, autour de l’événement annuel intitulé la Semaine du livre béninois de Jeunesse ; de l’Organisation malienne des éditeurs de livres (OMEL) qui a réalisé une « Charte des professionnels de l’édition et code éthique » en 201713 et s’investit dans l’organisation de la Rentrée littéraire du Mali ; ou encore de l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire (Assedi) qui pilote, entre autres actions, le Salon international du livre d’Abidjan et mène des actions collectives contre le piratage des livres scolaires. 

L’organisation administrative 

Le ministère en charge de la Culture 

L’ensemble des pays de la région étudiée disposent au sein de leurs gouvernements, le plus souvent de longue date, d’un ministère en charge de la Culture, ce qui n’est pas toujours le cas dans le reste de l’Afrique, et notamment en Afrique anglophone (ou alors, de manière récente). Toutefois, les attributions du dit ministère ne sont centrées sur la culture que dans cinq pays : au Mali et au Sénégal (ministère de la Culture), au Cameroun et en RDC (ministère des Arts et de la Culture) et en Côte d’Ivoire (ministère de la Culture et de la Francophonie)14.   

Ailleurs, la culture se voit jointe à d’autres domaines de compétences, le Sport (en Guinée, au Rwanda et au Togo, pays dans lequel s’ajoute la Communication et la Formation civique), le Tourisme (au Bénin et au Burkina Faso), la promotion de l’Artisanat (à Madagascar), et le Loisir, puis la Modernisation sociale (au Niger, pour ces deux dernières compétences). Si l’on peut trouver des logiques à l’origine de ces regroupements, l’on peut craindre néanmoins que le soutien à la culture et, tout particulièrement, la considération de la dimension « industrielle » prise par de grands pans de la production culturelle dans le processus de mondialisation des échanges n’y occupe pas une place centrale. 

Les organismes et dispositifs en faveur de la lecture publique 

Si l’on se penche sur les organigrammes, seuls cinq ministères en charge de la Culture sur douze font apparaître une Direction générale consacrée au livre et à la lecture ainsi rassemblés : le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée, le Niger et le Sénégal. Cette présence n’implique d’ailleurs pas qu’elles disposent dans tous les cas d’un budget d’investissement important, mais les données manquent pour une analyse plus précise. Au Togo, existe une Direction des bibliothèques et de la promotion littéraire, qui ne fait aucune place dans son intitulé à la chaîne économique du livre. Ailleurs apparaissent des directions générales plus globalisantes, « Arts et Livre » (au Bénin et en Côte d’Ivoire), « Action culturelle » (au Mali) ou encore « Culture et sauvegarde du Patrimoine » à Madagascar. Cette dernière direction a autorité sur une direction des Bibliothèques, qui elle-même a autorité sur un Service d’appui au développement de la chaîne du livre, au moins sur le papier.

 Au Mali, le livre et la lecture sont du ressort du Centre national de lecture publique, qui opère sous le couvert de la direction nationale des Bibliothèques et de la Documentation (DNBD). Au Bénin, aucune instance nationale n’est en charge de la lecture, en dehors du réseau des Centres de lecture et d’animation culturelle15 (CLAC) de l’OIF. Il semble en aller de même en Côte d’Ivoire où les seules actions mises en place l’ont été par la Bibliothèque nationale : création de « mini bibliothèques » dans des salons de coiffure et instauration de la « Bibliothèque enfantine » chargée de la promotion de la lecture publique en direction des enfants. 

 Il faut noter d’autre part que l’OIF a suscité et financé à Madagascar la mise en réseau des CLAC grâce à la création, en 2004, du Centre national malgache de lecture et d’animation culturelle (CEMDLAC). Il en va de même au Burkina Faso, où a été créé en 2005 le Centre national de lecture et d’animation culturelle (CENALAC), toujours dans le même but d’accompagner les États du « Sud » dans la mise en place d’une véritable politique nationale de lecture publique.

 Au Cameroun, c’est l’Unesco qui a suscité en 1975, la création d’un Centre régional pour la promotion du livre en Afrique (CREPLA), dont la vocation était initialement régionale mais qui intervient surtout sur le plan national. La coopération française a aussi initié, dans les années 1980, une Centrale de lecture publique, sise à Yaoundé, qui devait être une tête de réseau de bibliothèques publiques. Néanmoins, les lois régissant la décentralisation, depuis 1996, ont placé sous la compétence des régions et des communes la politique d’implantation et d’animation des espaces de lecture, sans que le transfert effectif de cette compétence et des moyens censés l’accompagner ne soit réalisé vingt ans plus tard. 

Au Rwanda, sur le site du ministère, le programme Culture renvoie aux « industries créatives » et à la promotion du tourisme culturel, ainsi qu’à la protection et à la promotion du kinyarwanda. Il existe toutefois la Rwanda Academy of Language and Culture (RALC), ainsi qu’une agence en charge des bibliothèques, des archives et de la promotion de la lecture,  la Rwanda Archive and Library Services Authority. En RDC, les actions potentielles en faveur du livre passent par un organisme d’État, le Fonds de promotion culturelle (FPC) dont les objectifs déclarés sont de « favoriser l’éclosion des industries culturelles et artistiques » et, en ce qui concerne le livre, d’ « assurer une diffusion adéquate et une représentation efficiente de la production littéraire nationale ». Ses ressources sont censées provenir de redevances, notamment de 5 % sur les recettes brutes des librairies et papeteries installées en RDC. Il ne semble toutefois pas fonctionner véritablement et n’a pas compétence sur la lecture publique.  

L’échelon régional 

Les organisations intergouvernementales régionales peuvent aussi être des acteurs des politiques du livre ; leur champ de compétences comprend parfois, en effet, une dimension culturelle. C’est le cas par exemple de la CEDEAO, qui s’est dotée d’une division de la Culture. Son « Programme culturel régional pour la période 2015-2017 » comprenait le renforcement des droits d’auteur et des droits de la propriété intellectuelle. 

Les soutiens directs au livre 

Nombre de pays de la région concernée ont commencé à préparer, voire ont mis en place, des politiques nationales de la culture, notamment sous l’influence des bailleurs de fonds étrangers ou internationaux, comme l’Organisation internationale de la Francophonie qui, depuis 1995, semble subordonner ses aides à une telle démarche. Certains les ont inscrites dans des textes officiels de gouvernance, lois (comme la « loi n° 2014-425 du 14/07/2014 portant politique culturelle nationale en Côte d’Ivoire »), ou décrets (comme à Madagascar ou au Togo). La plupart comportent un volet « politique publique du livre ». Pourtant, le fossé peut être grand entre l’instauration sur le papier de mesures de soutien et leur réalisation effective sur le terrain, de sorte que les programmes effectifs et lisibles d’aides, sont bien plus souvent l’exception que la règle.

 La Côte d’Ivoire, en ce domaine, fait figure d’exemple positif, nous l’avons vu, grâce à la loi du 20 juillet 2015 « relative à l’industrie du livre », qui envisage tant la protection des droits de la propriété intellectuelle que le financement de la filière et la promotion des livres. Néanmoins, les décrets d’application permettront une meilleure appréciation des dispositions concrètes. 

Le Sénégal doit aussi être remarqué depuis que la présidence a annoncé, en décembre 2013, un « ambitieux programme de relance du livre et de lecture » qui s’est traduit dans la « Lettre de politique sectorielle de la Culture et de la Communication » adoptée en février 2016. Ce sont ainsi 290 millions de francs CFA (± 450 000 euros) qui ont été remis, en avril 2018, à l’Association des écrivains du Sénégal et à l’Association sénégalaise des éditeurs16, mais nous ne disposons pas d’informations sur leur utilisation. 

Les fonds de soutien 

Cinq pays seulement sur les douze envisagés paraissent, selon les données recueillies, avoir mis en place des fonds d’aide à la Culture : le Bénin (fonds des Arts et de la Culture), le Burkina Faso (encore qu’ici il s’agisse, plus globalement, d’un fonds de développement culturel et touristique), le Cameroun (Compte d’affection spéciale pour le soutien à la politique culturelle), le Togo (fonds d’aide à la Culture) et le Sénégal qui est le seul à disposer d’un fonds spécifique d’aide à l’édition, doté de 500 millions de francs CFA (± 760 000 euros). Un tel fonds est également prévu en Côte d’Ivoire par la loi de juillet 2015 mais n’est pas encore opérationnel. Au Niger, existe un fonds d’appui aux artistes qui devrait bientôt être élargi sous l’appellation de « fonds en appui à la création culturelle et artistique ». Parfois, au Burkina Faso par exemple, c’est le bureau des droits d’auteurs qui accompagne certaines publications. Le plus souvent, cependant, les aides sont bien davantage dirigées vers le spectacle vivant, et particulièrement la musique, que vers la filière du livre, ou bien concernent surtout les auteurs, comme c’est le cas au Bénin et au Niger. En outre, les professionnels du secteur pointent l’illisibilité dans l’attribution de ces aides, qui se font parfois « à la tête du client », autrement dit, comme l’écrit un éditeur interrogé, intuitu personae. Dans tous les cas si, outre les auteurs, les éditeurs peuvent espérer parfois en profiter, de manière très ponctuelle au demeurant, soit pour leur entreprise, soit pour des publications précises, soit encore pour financer des traductions, les libraires sont les grands oubliés, sauf peut-être au Sénégal où le fonds est censé les prendre en considération. Les uns et les autres, finalement, comptent davantage sur le soutien de la coopération internationale, et notamment de la coopération française (mais aussi du Goethe Institute au Cameroun ou de l’USAID et du Centre Wallonie-Bruxelles en RDC), et de quelques ONG qui interviennent dans ce secteur, que de leur tutelle nationale (au Mali, la profession n’est même pas reconnue dans ses spécificités, puisque les éditeurs se trouvent assimilés aux imprimeurs, voire aux écrivains17). Cependant, les moyens dévolus aux services d’action culturelle des ambassades de France et des Instituts français ne cessent de diminuer, tandis que les Bureaux du livre ont tendance à fermer, comme c’est le cas au Cameroun. Les éditeurs s’organisent par ailleurs entre eux, notamment pour des projets de coédition, grâce à des regroupements régionaux ou/et à travers des associations internationales comme l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. 

Les salons du livre 

Les fonds culturels, lorsqu’ils existent, doivent en théorie aider également à la présence des éditeurs nationaux sur certains salons du livre à dimension internationale (prise en charge des stands, des billets d’avion, etc.). Ce n’est pas toujours le cas dans la pratique, par exemple au Togo, du fait d’une enveloppe financière globale trop réduite. Là où ces fonds n’existent pas, des subventions ponctuelles sont parfois directement attribuées par le ministère en charge de la Culture, par exemple au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou en Guinée. Mais dans bien d’autres cas, les éditeurs d’Afrique subsaharienne sont conduits, outre à compter sur leur propre dynamisme, à s’en remettre là encore au bon vouloir et aux ressources financières des services de l’Ambassade de France (à travers l’Institut français) ou d’autres pays organisateurs, voire de structures régionales comme La Réunion des Livres18 pour les éditeurs malgaches. Le BIEF ou l’AIEI proposent également des programmes ponctuels d’invitation, tandis que les foires elles-mêmes leur apportent un soutien direct : c’est le cas, par exemple, de la Foire du livre pour enfants de Bologne ou encore de la Foire de Francfort qui a mis en place un programme fellowship

Plusieurs des pays concernés et des associations d’éditeurs ont par ailleurs mis en place de plus ou moins longue date, avec ou sans l’appui de leurs pouvoirs publics, des salons du livre dont certains ont acquis une réputation internationale incontestable. C’est le cas du Salon international du livre d’Abidjan (SILA) auquel s’ajoute désormais, depuis 2017, un Salon du livre pour enfants et adolescents, en Côte d’Ivoire ; de la Foire internationale du livre et du matériel didactique de Dakar (FILDAK), au Sénégal, pays qui a vu également s’ouvrir, à l’automne 2018, le tout nouveau Salon national du livre de Saint-Louis ; de même que de la Foire internationale du livre de Ouagadougou (FILO), qui a organisé en 2017 sa 14édition et qui est désormais biennale. Toujours au Burkina Faso, un Salon du livre africain (SLAK) est d’autre part organisé, annuellement, à Koudougou depuis 2016. Au Cameroun, existe un Salon international du livre de Yaoundé, dont la périodicité reste toutefois aléatoire. 

À Antananarivo, à Madagascar, se tient une Foire du livre qui a fêté sa 14e édition en 2018, tandis que Lomé, au Togo, en accueille une depuis 2017. Enfin, au Mali a été organisé à partir de 2014 un Salon du livre de Ségou (SALISE) qui devait être annuel mais semble n’avoir connu pour l’heure que trois éditions, du fait de l’instabilité politique que les groupes terroristes font régner dans la région. 

Il faut par ailleurs noter deux initiatives privées en Guinée. La première est due à Sansy Kaba Diakité, directeur de L’Harmattan-Guinée : les « 72 h du livre », dont l’édition 2018 a clos l’année où la ville de Conakry a été désignée « Capitale mondiale du livre » par l’Unesco. La seconde est le fait des éditions Ganndal qui organisent le Salon du livre de jeunesse, lequel se tient aussi à Conakry.

Les aides aux publications en langues locales

Le moins que l’on puisse dire est que les politiques publiques du livre en Afrique subsaharienne francophone ne s’intéressent guère spécifiquement aux publications et traductions en langues autochtones. Le Sénégal fait toutefois exception avec son Fonds d’aide à l’édition dont l’un des objectifs est « de contribuer à l’édition, la promotion et la diffusion des créations littéraires en langues nationales ». Il semble également qu’au Burkina Faso quelques aides ponctuelles soient attribuées pour l’édition en langues locales. Ailleurs, les éditeurs s’en remettent le plus souvent aux partenaires institutionnels de la coopération, notamment à l’OIF avec son projet ELAN (Écoles et langues nationales en Afrique), ou aux diverses associations d’aides au développement. Pourtant, certains éditeurs indépendants s’attachent fortement à ce type de publications, comme les éditions Bakame au Rwanda qui publient essentiellement en kinyarwanda ; les éditions Sankofa & Gurli au Burkina Faso ; Papyrus Afrique au Sénégal ; Jeunes Malgaches à Madagascar ; Édilis en Côte d’Ivoire ; Donniya au Mali ; Gashingo au Niger ; ou encore Ganndal en Guinée19. Le marché reste toutefois faible et incertain, surtout en l’absence d’un soutien public et d’une politique de scolarisation en langues africaines, et d’autres éditeurs hésitent à se lancer sur ce terrain, préférant publier dans les grandes langues internationales, le français et l’anglais surtout. 

Les achats pour les bibliothèques

Bien souvent, les bibliothèques, lorsqu’elles existent, ne disposent pas de budgets pour l’acquisition de livres et aucun mécanisme public ne prévoit d’achats en provenance des éditeurs locaux. De ce point de vue, l’article 15 de la loi ivoirienne relative à l’industrie du livre est à souligner, qui prévoit l’achat par l’État et les collectivités locales « d’un pourcentage minimal raisonnable » d’exemplaires de « tout ouvrage imprimé et édité dans le pays qui, par sa valeur culturelle ou son intérêt scientifique et technique, enrichit la bibliographie nationale ».

Le Sénégal, de son côté, procède à des appels d’offres du ministère de la Culture pour l’achat de fonds documentaires. Au Cameroun, le Compte d’affectation spéciale pour le soutien à la politique culturelle permet aussi des préachats de livres. À Madagascar, en 2014, l’Association des éditeurs a fait valider pour trois ans par le ministère de l’Éducation nationale une liste de 26 livres de lecture agréés en primaire qui ont été achetés par l’Unicef et distribués ensuite dans les écoles publiques.

Ailleurs, les dispositifs paraissent absents et les « acquisitions » des bibliothèques reposent principalement sur des dons de la coopération internationale qui, le plus souvent, prennent peu en considération les éditeurs locaux.

Le marché de l’édition scolaire 

L’accès au marché du livre scolaire pour les éditeurs indépendants locaux est essentiel dans l’optique d’un développement et d’une structuration plus forte de la chaîne du livre dans les pays d’Afrique subsaharienne francophone. Or, l’attribution des marchés du scolaire se fait bien souvent par une procédure d’appels d’offres financés par des organismes internationaux, comme la Banque mondiale ou le FMI, ou à travers des accords bilatéraux, par exemple avec l’USAID. Dans les faits, ces derniers comportent tant de conditions de participation, notamment en termes de garanties bancaires, d’expertise demandée et d’avances sur trésorerie que l’édition locale, en l’absence de toute politique publique volontariste de « préférence nationale », s’en trouve dans les faits largement exclue au profit des grands groupes étrangers, français et québécois principalement.

Deux pays ont néanmoins adopté des mesures pour favoriser la participation de leurs éditeurs nationaux au marché du scolaire. En Côte d’Ivoire, ainsi, la production des manuels du secondaire est attribuée aux éditeurs nationaux (qui peuvent coéditer avec des éditeurs « du Nord »), à travers des procédures de contrats de gré à gré, tandis que certains manuels du primaire, financés par le ministère de l’Éducation, leur sont également réservés. De manière similaire, le ministère malien de l’Éducation est censé formuler des appels d’offre réservés aux éditeurs locaux. L’instabilité politique et les difficultés économiques rendent pourtant difficile, depuis plusieurs années, la réalisation concrète de cet objectif.

Dans les autres pays, la participation des éditeurs locaux au marché du scolaire se voit réduite à la portion congrue sauf peut-être au Cameroun où ils publient de l’ordre de 30 % des titres agréés par le ministère. La nouvelle politique du « manuel unique » par matière et niveau, adoptée en 2018, est cependant de nature à modifier la situation, mais il est difficile pour l’heure de dire de quelle manière. Au Togo, une évolution s’est fait jour et, pour la première fois, un éditeur local, grâce à un système de préachat et d’avance de frais mis en place par le ministère de l’Éducation, a pu proposer depuis 2015 deux manuels pour le primaire, en français et en mathématique. De même, au Sénégal et au Rwanda, quelques éditeurs locaux réussissent parfois à imposer un titre. En revanche, en Guinée, le principal éditeur n’a eu d’autres ressources que de s’inscrire dans les marges du système éducatif en publiant des cahiers d’activité qui relèvent du parascolaire.

Il convient d’autre part de noter que le manuel scolaire est le plus souvent distribué dans les établissements aux frais des éditeurs, de sorte que les libraires ne peuvent profiter d’une manne qui permettrait leur expansion et la densification du réseau de ventes du livre. En outre, lorsque le manuel est vendu aux familles (en Côte d’Ivoire, pour le secondaire, par exemple, ou au Cameroun), il se heurte à une contrefaçon qui atteint des proportions difficilement supportables, alors même que certaines écoles privées, selon les réponses au questionnaire recueillies, se tournent délibérément vers la production issue du piratage. Enfin, autre effet pervers, la taxation des intrants nécessaires à la production locale de livres, entraîne dans la plupart des pays les éditeurs scolaires à imprimer hors de leurs frontières, ce qui nuit une nouvelle fois à la structuration de la chaîne du livre.

Conclusion  

En fin de compte, les politiques publiques du livre, dans le périmètre étudié, ont connu globalement, au cours des quinze ou vingt dernières années, des progrès notoires. La pression des éditeurs indépendants, qui se sont multipliés et ont su se professionnaliser et se regrouper durant la même période, a joué de façon indéniable un rôle positif majeur. Le terreau est fertile et ne demande qu’à donner ses fruits.

Néanmoins, l’action publique reste encore généralement imparfaite, lacunaire et surtout peu structurée : gouvernants et administrations, le plus souvent, ne sont pas assez au fait des spécificités de la chaîne du livre et, de façon plus large, de celles des « industries culturelles ». Sans aucun doute, la mise en place de conseils du livre et de la lecture ou de conseils de la culture leur permettrait de mieux appréhender les réalités du secteur et de préciser leurs dispositifs, tant législatifs que de régulation du marché et de redistribution sélective, apportant ainsi du contenu concret à la déclaration d’intention qu’est la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

La Côte d’Ivoire, de ce point de vue, est pilote, grâce à sa loi de 2015 relative à l’industrie du livre, mais sans doute manque-t-il encore un volet consacré à la lecture publique, tant les deux sont liés. Le Sénégal, également, a manifesté depuis plusieurs années maintenant, sa volonté politique de soutien au livre et à la culture et a structuré en ce sens son ministère dédié. Il lui reste, à présent, à approfondir et à structurer ses actions.   

Les autres « grands pays » (démographiquement parlant), Cameroun, Madagascar, sans parler de la RDC, n’ont pas encore emboîté le pas et l’on doit le regretter, car ils ont d’incontestables potentialités qui ne demandent qu’à être développées. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger souffrent indéniablement, pour leur part, des difficultés économiques et des troubles politiques et terroristes que connaît le Sahel, bien que le premier pays nommé, avec peu de moyens, affiche son souci de mettre en place des éléments de politique publique du livre. Le Mali, de son côté, pourrait aisément reconnaître les spécificités du métier d’éditeur. Après tout, l’un de ses anciens présidents, Alpha Oumar Konaré, n’a-t-il pas été l’un des fondateurs de la coopérative culturelle Jamana et des éditions du même nom ? Le Niger paraît, quant à lui, depuis peu, être disposé à évoluer en ce domaine mais son projet de politique nationale du livre n’a pas encore été validé.

Le Bénin et le Togo ont mis en place des fonds d’aide à la culture, qui aident trop peu encore la filière commerciale du livre (et le Togo ne considère toujours pas, en termes de TVA, le livre comme « un produit différent des autres »). Quant à elle, la Guinée n’a pour l’heure guère pris d’initiatives dans le domaine du livre, alors que l’événement « Conakry, capitale mondiale du livre » (d’avril 2017 à avril 2018) était porteur d’espoirs. Enfin, au Rwanda, le livre ne semble pas être dans les priorités gouvernementales, orientées bien plutôt vers le numérique et la notion floue d’ « industries créatives ».

Du coup, dans bien des pays, les professionnels du livre n’ont encore trop souvent d’autres ressources que de continuer à se tourner vers la coopération internationale, toujours fort active, parfois avec des objectifs diplomatiques inavoués, ou de s’organiser eux-mêmes, ce qu’ils apprennent à faire avec plus de bonheur au fil des années. La bibliodiversité est bien en marche, fruit de la créativité et du dynamisme des acteurs du livre. 

Revue Bibliodiversity

En complément de cette analyse, un numéro de la revue Bibliodiversity consacré aux politiques publiques du livre a été publié. Composé d’articles universitaires, de témoignages de professionnel.le.s du livre et des deux analyses régionales présentées ici, ce numéro de la revue est disponible en ligne sur le site de Double Ponctuation et de l‘Alliance internationale des éditeurs indépendants.

Remerciements 

L’Alliance internationale des éditeurs indépendants remercie très chaleureusement la Fondation de France et la Direction du développement et de la coopération DDC en Suisse pour le soutien apporté au projet de cartographie des politiques publiques du livre en Afrique subsaharienne francophone. 

  1. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996 

  2. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996.