Introduction

Cet article est né de l’initiative de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, qui a cherché à cartographier les politiques, instruments, mécanismes et dispositifs de soutien à la lecture et au livre dans les pays hispanophones1. Pour ce faire, un vaste questionnaire a été envoyé en 2017 à plus de 100 professionnels du livre (éditeurs, auteurs et fonctionnaires) dans près de 20 pays.

53 réponses ont été obtenues de professionnels issus de 12 pays. L’étude de ces réponses a permis d’analyser la situation des 10 pays suivants : Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Pérou et Uruguay. L’information recueillie via le questionnaire a été complétée par des entretiens individuels auprès des répondants.

Le questionnaire portait sur différentes thématiques, structurées autour de dimensions particulièrement importantes pour la lecture et le livre, telles que : les politiques nationales du livre et de la lecture, le droit d’auteur, la censure et la réglementation du contenu, les données d’identification des publications, les dispositions fiscales et les mesures de réglementation du marché, les achats publics, les lois, les aides et les fonds de soutien, etc.

Cet article2 regroupe les réponses apportées au questionnaire, et analyse certaines des pratiques à l’œuvre au sein des pays, notamment les lois existantes, les politiques publiques et les dispositifs de soutien. Les précisions qualitatives que nous livrent les répondants permettent, quant à elles, de compléter ces analyses. Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire du livre en Amérique latine. Ceux qui veulent étudier ce domaine peuvent consulter les livres du CERLALC (2011), de Weinberg (2001) ou de Herrera (1977). 

Il faut avoir à l’esprit que les réponses au questionnaire reflètent la réalité des pays « à un instant t » (au cours des années 2017 et 2018). L’analyse livrée ici est donc le fruit de l’appréciation d’éditeurs et de professionnels d’un pays donné, à une époque donnée, au sein d’une réalité régionale plus large dont nous tenterons de rendre compte dans cet article. 

Les thèmes du questionnaire permettront de décrire les différents aspects de la réalité régionale du livre.

Le droit d’auteur 

La conception et l’appréhension du droit d’auteur dans la région remontent aux débuts de l’indépendance des nations. Des clauses et des mentions relatives à la propriété intellectuelle et au droit d’auteur ont été insérées dans les Constitutions que les pays ont rédigées au XIXe siècle. Selon Cerda Silva (2016), certains pays ont suivi la tradition américaine de protection du titulaire, tandis que d’autres ont privilégié la tradition française des droits inhérents au créateur.

 À l’heure actuelle, les lois de l’ensemble des pays étudiés réglementent et protègent les droits moraux, les droits patrimoniaux et les droits voisins du droit d’auteur. Les pays comptent également tous sur des Services, des Instituts, des Directions, des Départements, des Bureaux ou des Registres au sein de l’appareil public permettant l’enregistrement et la gestion du droit d’auteur. Des lois portant spécifiquement sur cette question ont vu le jour, pour la plupart, au cours des premières décennies du XXe siècle. Aujourd’hui, il existe de nouvelles lois ou des réformes plus larges, sur le livre et la lecture, et sur le droit d’auteur.

Les lois sur le droit d’auteur ont été conçues puis remaniées tout au long du XXe siècle dans les pays de la région. Ainsi, des modifications ont été apportées au milieu du siècle en Argentine (1933), en Uruguay (1937) et au Mexique (1948) ; quelques décennies plus tard, au Chili (1970) et au Costa Rica (1982) ; et au cours des années 1990 en Bolivie (1992), en Colombie (1993), au Guatemala (1998), au Honduras (1999), et au Pérou (1996).

 Les dispositions légales protégeant le droit d’auteur diffèrent selon les pays de la région. Au Mexique, le droit d’auteur est protégé jusqu’à 100 ans après la mort, contre 80 ans en Colombie, 75 ans au Guatemala, 70 ans en Argentine, en Bolivie, au Chili, au Costa Rica et au Pérou, et 50 ans en Uruguay.

Malgré l’existence de lois écrites, les bureaux de droit d’auteur voient leur rôle réduit à celui d’enregistrement et de gestion administrative car ils ne possèdent pas les outils nécessaires au contrôle et à l’application effective de ces lois. De son côté, la société civile s’organise en associations de surveillance des droits de reprographie et des droits numériques, à l’image de CADRA (Argentine), SADEL (Chili), ACODERE (Costa Rica), CDR (Colombie), AEI (Guatemala), CEMPRO (Mexique), REPRO (Pérou) et AUTOR (Uruguay).

Ainsi, la mise à jour de la législation relative au droit d’auteur et son application constituent un problème largement répandu au sein de la région. Toutefois, la situation particulière de chaque pays traduit des objectifs différents. Les réponses des participants à l’enquête permettent d’identifier un certain nombre de difficultés. Parmi elles, figure un enjeu de taille : adapter le droit d’auteur à l’environnement numérique.

De nombreuses réponses citent la piraterie comme étant un enjeu permanent, faisant l’objet d’un débat continu au sein des pays de la région. L’un des répondants précise : « Le principal débat est de savoir comment lutter efficacement contre le piratage, à la fois de manière préventive (en sensibilisant le public) et punitive (en luttant contre les réseaux de plus en plus organisés de producteurs non autorisés). »

 Tous les professionnels interrogés au sein des différents pays étudiés, souhaitent une meilleure application des sanctions prévues par les lois sur le droit d’auteur. Ils pointent à cet égard un certain nombre de difficultés : absence d’orientation politique pour la conception et l’application des lois, réglementation désuète, procédures excessivement fastidieuses qui découragent l’application des sanctions, revendications publiques non suivies de mesures punitives, ou encore impossibilité d’apporter la preuve des infractions commises au regard de la loi.

Des propositions de nature préventive sont également formulées pour attirer l’attention des citoyens sur les méfaits de la piraterie, renforcer les connaissances des auteurs et sensibiliser les lecteurs au droit d’auteur. L’objectif étant que les changements culturels et la prise de conscience collective des effets de la piraterie sur l’ensemble de l’écosystème du livre contribuent à protéger le droit d’auteur.

 Les participants à l’enquête soulignent un autre débat, très bien résumé dans les lignes suivantes : « Il est essentiel de retrouver un certain équilibre entre les droits du titulaire et les droits de la société toute entière à accéder au savoir ». Le débat entre la protection du droit d’auteur et l’entrée des œuvres dans le domaine public est une question qui transparaît dans les politiques adoptées par les différents pays, notamment, lorsqu’il s’agit de déterminer le nombre d’années de protection d’une œuvre après le décès de son auteur.

 Sur ce même sujet, des voix s’élèvent dans la région pour dénoncer la concentration économique des droits d’auteur excessivement protégés, conduisant vers un déséquilibre entre les droits du titulaire et l’accès au savoir. À cet égard, l’un des interviewés souligne le défi « de veiller à ce que la logique de propriété qui domine en matière de droit d’auteur et de propriété intellectuelle (…) ne menace pas la liberté de création, la liberté d’information, et ne favorise pas la concentration du savoir et de la connaissance ». Dans le même ordre d’idées, un autre répondant met en garde contre « la concentration du droit d’auteur entre les mains d’éditeurs transnationaux, qui dure depuis de nombreuses années et entrave la libre circulation des livres dans notre pays ». La concentration du droit d’auteur par les grands conglomérats multinationaux constitue une menace majeure pour la bibliodiversité, la diffusion des connaissances et l’édition locale au sein des pays étudiés.

L’une des caractéristiques de ce débat tient à la prédominance de la logique commerciale au sein même de la législation sur le droit d’auteur. À cet égard, l’un des répondants estime d’ailleurs qu’il existe un devoir de : « protéger [le droit d’auteur] contre les intentions néolibérales visant à étendre la ‘protection’ au détriment de la diffusion de la connaissance et de la culture ».

Le débat porte également sur la question des photocopies et de la reproduction numérique. L’un des interviewés déclare : « La question la plus controversée et la plus sensible est celle des photocopies et de la façon de l’appréhender lorsqu’elle touche au système éducatif. » Les photocopies sont des copies non autorisées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, en même temps, elles permettent la diffusion du contenu d’une œuvre de manière massive et peu coûteuse. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elles sont très utilisées dans le domaine de l’éducation. Les personnes interrogées considèrent à l’unanimité que les photocopies sont incontrôlables, qu’elles représentent un marché très important, qu’elles sont utilisées sans discernement dans le système éducatif, et que tout l’enjeu est de parvenir à les contrôler. L’Uruguay est cité comme faisant figure d’exception puisqu’une loi autorise l’utilisation de photocopies à des fins personnelles (notamment pour les étudiants). 

Pour éviter ce type de déséquilibre, l’une des propositions consiste à favoriser l’accès public à l’information, en créant des bases de données sur le droit d’auteur des auteurs décédés. D’autres suggèrent d’adapter la réglementation en vigueur dans les pays, en privilégiant l’utilisation de licences telles que : Creative Commons, qui permet de libérer les œuvres de certains droits de propriété intellectuelle, copy left, qui autorise la distribution gratuite des œuvres, et open access, qui garantit un accès aux œuvres libre et gratuit. Certaines des personnes consultées soulignent la nécessité de faire évoluer les lois sur le droit d’auteur afin de tenir compte des nouvelles tendances en matière de licences, ce qui permettrait de rétablir un certain équilibre. 

Censure, réglementation du contenu et concentration

Aucun des pays d’Amérique latine étudiés ne reconnaît de manière explicite la censure éditoriale par le biais d’une législation, d’une institution ou d’une politique particulière. La réglementation du contenu au sein de ces pays est similaire à l’échelle régionale, le matériel pornographique (en particulier la pédopornographie) étant interdit et l’horaire de diffusion des émissions de télévision étant réglementé pour protéger les mineurs. Au Costa Rica, les représentations (notamment cinématographiques et les spectacles vivants) font l’objet d’une réglementation institutionnelle confiée à une Commission (la Comisión de Control y Calificación de Espectáculos Públicos – CCEP).

Certaines des réponses au questionnaire signalent d’autres formes de censure, moins formelles et explicites, qui menaceraient de gagner du terrain à l’échelle régionale. Les personnes interrogées rendent compte de phénomènes d’autocensure dans différents pays face à la crainte de publier une œuvre. Ce type de censure intervient généralement dans des contextes d’autoritarisme et en présence de conglomérats politico-économiques dont la réaction peut porter préjudice à l’auteur ou à l’éditeur.

D’autres types de censure, plus flous et moins systématiques, sont également montrés du doigt. La censure de livres à l’occasion de foires internationales par exemple, la censure masquée à travers l’absence totale de publicité dans les médias d’opposition, ou encore les menaces adressées à certains auteurs pour les dissuader de publier leurs œuvres. Ces formes de censure sont également liées à la concentration des médias.

Un troisième type de censure, de nature différente, correspond à la censure économique, conséquence des barrières commerciales. Celles-ci existent lorsque les médias influents sont concentrés entre les mains de groupes économiques, de sorte que la critique littéraire, la distribution de livres et d’autres mécanismes d’expression médiatique dépendent des décisions prises par un groupe homogène et fermé. En général, ces médias boycottent les publications critiques et s’associent aux grands groupes de maisons d’édition.

 La concentration des maisons d’édition entre les mains de quelques entreprises (généralement étrangères) est un phénomène palpable dans de nombreux pays de la région. Dans certains cas, comme au Mexique, c’est l’État lui-même qui contribue à la concentration du marché éditorial. Les répondants considèrent la concentration des entreprises comme une question essentielle. Interrogé au sujet des trois principaux problèmes auxquels est confronté le secteur du livre dans son pays, l’un d’entre eux répond : « [le] monopole des grands éditeurs étrangers sur les achats publics de livres, [le] monopole des grands éditeurs étrangers sur l’offre des livres en librairies, [le] monopole des grands éditeurs étrangers sur la promotion éditoriale dans les médias ». La concentration des éditeurs étrangers touche différents canaux de diffusion et de circulation des livres ; elle gagne également du terrain de manière inquiétante à l’intérieur et entre les pays de la région. 

La présence d’éditeurs indépendants au sein des pays est considérée comme un acte de résistance face à la concentration du marché. Les répondants perçoivent en effet l’édition indépendante comme le bastion de la bibliodiversité et de l’auto-création. D’aucuns considèrent qu’il s’agit d’un pilier fondamental de la production locale (notamment les répondants d’Amérique centrale). 

Bien que leur influence varie d’un pays à l’autre, les éditeurs indépendants ont tendance à jouer un rôle actif dans la demande de politiques publiques en faveur de la lecture et du livre ; ils participent également à la conception et à la mise en œuvre de ces politiques, dans certains pays. Cela dit, les personnes interrogées soulignent, malgré tout, une présence encore faible de l’édition indépendante sur le marché de l’édition. 

Gouvernance : institutions, lois et politiques du livre 

Les institutions des pays étudiés dans cet article, présentent différents niveaux de complexité en termes de conception, de mise en œuvre et d’application des politiques du livre et de la lecture. Certains auteurs, comme Kooiman et Rhodes, soulignent que la complexité du réseau d’institutions et leur organisation autour d’un objectif commun (à savoir promouvoir la lecture et le livre, par exemple) sont déterminantes pour obtenir les résultats qu’un tel réseau est à même de générer.

Tous les pays étudiés possèdent une entité gouvernementale dédiée à la culture (sauf le Honduras, dont la Direction exécutive est rattachée au ministère de l’Éducation, suite aux dégradations subies en 2009 et 2014). Au sein de ces entités, il existe des services gouvernementaux dédiés exclusivement à l’élaboration de programmes et de politiques en faveur du livre et de la lecture (à l’exception de l’Uruguay, où ces programmes et politiques sont élaborés au sein même de la Direction nationale de la culture).

En Argentine, il existe des institutions aux niveaux provincial et fédéral, et deux lois importantes dans le secteur du livre : la Ley del Libro (Loi sur le livre) et la Ley de Defensa de la Actividad Librera (Loi pour la défense de l’activité de libraire) : la première définit le cadre institutionnel du livre et la seconde établit les mécanismes d’action. Il existe également un Plan national de lecture qui guide les actions du système. Toutefois, d’après les personnes interrogées, bien qu’il existe un Conseil consultatif et un Fonds de soutien, l’application du Plan a pris beaucoup de retard et représente un défi permanent.

En Bolivie, le ministère des Cultures et du Tourisme conçoit, administre et promeut les politiques culturelles, et la Fondation de la Banque centrale, une organisation pleinement autonome, gère, quant à elle, des centres culturels. Une loi avait également institué un comité représentatif, mais celui-ci n’a pas fonctionné en pratique. Ces institutions de nature juridique et politique différente voient leur rôle affaibli et peinent à mettre en œuvre les politiques adéquates. La Loi sur le livre en Bolivie prévoit certains mécanismes de soutien, mais elle ne propose pas de stratégie pour guider efficacement le système.

Au Chili, le Conseil national du livre et de la lecture, oriente les thèmes du livre et en même temps, soutient le ministère des Cultures, des Arts et du Patrimoine. L’une de ses tâches consiste également à administrer le Fonds dédié au livre, créé par la Loi sur le livre. Le pays dispose d’une Politique nationale de lecture et du livre 2015-2020, élaborée et mise en œuvre de manière participative, qui définit la stratégie nationale du livre et de la lecture. Cependant, cette politique a connu quelques difficultés de mise en œuvre, en raison du manque d’implication du ministère de l’Éducation, un acteur essentiel dans ce domaine. Même lorsque la politique entend défendre des valeurs et poursuivre des objectifs importants, le système du livre au Chili manque de souplesse pour tirer le meilleur parti de sa Politique nationale. Le Système national des bibliothèques publiques et les institutions interétatiques telles que Corfo pour le financement de l’industrie, et ProChile et Dirac pour la promotion des exportations du livre chilien jouent également un rôle important dans ce domaine.

En Colombie le domaine de la lecture et du livre s’organise autour d’un tissu institutionnel pluriel et varié. L’entité gouvernementale, le ministère de la Culture et sa division en charge du livre au sein du Groupe de littérature et du livre, sont assistés par le Conseil national de la littérature, et liés à des entités autonomes telles que l’Institut Caro et Cuervo, rattaché au Ministère. Ce réseau complexe d’institutions est soumis à la Loi sur le livre, qui promeut et cherche à démocratiser le livre colombien, et définit également sa stratégie nationale. Cependant, les personnes interrogées dénoncent une loi qui n’est pas facile à appliquer, et l’absence de protection du marché du livre local face à la concentration des entreprises étrangères. 

Au Costa Rica, le ministère de la Culture et de la Jeunesse conçoit et met en œuvre les politiques du livre, aux côtés du Colegio de Costa Rica, un institut autonome consacré à la promotion de la lecture et du livre. D’autre part, il existe une maison d’édition d’État connue sous le nom de Editorial de Costa Rica, dont le Conseil d’administration comprend des représentants d’autres ministères et universités. Toutefois, il n’existe aucune Loi sur le livre permettant de définir les orientations des stratégies nationales dédiées au livre et à la lecture.

Au Guatemala, le ministère de la Culture et du Sport dirige la politique culturelle, le Conseil national du livre conseille le gouvernement, et la Maison d’édition culturelle (d’État) édite et publie les auteurs nationaux. Il existe une loi de soutien au livre (Ley de Fomento del Libro), qui réglemente le marché du livre, mais n’établit pas de stratégies nationales à long terme pour encourager la lecture. Selon certaines personnes interviewées, le manque de mécanismes et de programmes de soutien portant sur la lecture, la création et l’édition, ajouté au manque de ressources, limite l’impact du milieu institutionnel. 

Le système institutionnel de la culture au Honduras a subi d’importantes transformations ces derniers temps : le ministère de la Culture est devenu Secrétariat d’État en 2009, puis Direction exécutive en 2014. La Direction exécutive de la culture, des arts et des sports, avec la Sous-direction du livre et des documents, relèvent toutes deux du ministère de l’Éducation. En 2013, le pays a promulgué la Ley de Fomento al Libro y el Documento (Loi de soutien au livre et aux documents), pour favoriser la mise en place de programmes et de politiques du livre. Cette loi pose les définitions et fixe les objectifs liés au secteur du livre. Cependant, les réponses au questionnaire ne permettent pas d’identifier des institutions, comme des conseils ou des centres culturels, qui assumeraient les rôles de l’État en plus de la direction exécutive des programmes gouvernementaux.

Au Mexique, il existe au sein du Secrétariat d’État à la culture, une Direction générale des publications qui correspond à l’organe exécutif du gouvernement en matière éditoriale. La Ley de Fomento para la Lectura y el Libro (Loi sur le soutien à la lecture et au livre) a été promulguée en 2008 ; elle structure, réglemente et organise le système, et sa mise en œuvre est encadrée par le Conseil national de soutien au livre et à la lecture. Les personnes interrogées (éditeurs indépendants) ont une opinion critique du rôle d’éditeur de l’État mexicain. Celui-ci concentre des pans importants de l’édition au sein du pays, agissant comme s’il détenait le monopole, et limitant la diversité des publications au sein du système du livre mexicain.

Au Mexique, il existe au sein du Secrétariat d’État à la culture, une Direction générale des publications qui correspond à l’organe exécutif du gouvernement en matière éditoriale. La Ley de Fomento para la Lectura y el Libro (Loi sur le soutien à la lecture et au livre) a été promulguée en 2008 ; elle structure, réglemente et organise le système, et sa mise en œuvre est encadrée par le Conseil national de soutien au livre et à la lecture. Les personnes interrogées (éditeurs indépendants) ont une opinion critique du rôle d’éditeur de l’État mexicain. Celui-ci concentre des pans importants de l’édition au sein du pays, agissant comme s’il détenait le monopole, et limitant la diversité des publications au sein du système du livre mexicain. 

L’Uruguay compte sur la Direction nationale de la culture, véritable bras exécutif des questions liées à la lecture et au livre, et sur la Loi sur le livre, qui réglemente le marché de l’édition. Il existe également un Conseil du droit d’auteur, et un Plan national de lecture qui organise le système. La Direction nationale met en œuvre les programmes et administre les fonds de l’État. Les personnes interrogées indiquent que l’industrie éditoriale locale n’est pas assez protégée face à la concentration des entreprises étrangères. 

La diversité institutionnelle au niveau régional tient, en partie, à l’existence d’organes consultatifs ou directeurs, constitués de manière participative par différents acteurs (ministères, services publics, universités, éditeurs, auteurs, etc.). L’existence de conseils consultatifs, de conseillers ou d’administrateurs de fonds, signifie une plus grande variété d’activités pour le système du livre.

Selon Navarro (2006), des conseils composés de grandes personnalités du monde artistique, de critiques importants, de politiciens emblématiques, etc. permettraient de renforcer une expression culturelle en quête d’excellence, mais au risque de privilégier une approche élitiste. Une composition plus démocratique du Conseil, avec des consommateurs « non experts », favoriserait, au contraire, des résultats plus démocratiques. Selon Mulcahy (2006), les conseils représentatifs fonctionnent comme des « sociétés d’admiration mutuelle », qui partagent des perceptions communes de ce qui constitue le « bon art », et deviennent des arbitres de la culture dans le domaine public. Si cette tendance se poursuivait, les conseils pourraient se voir confier la tâche d’allouer des ressources à des projets culturels et éditoriaux. 

Dans certains cas, et d’après les réponses des personnes interrogées, les conseils du système national du livre doivent relever plusieurs défis, parmi lesquels : augmenter la représentativité de ceux qui les composent, mettre en place ou augmenter la fréquence des sessions et le caractère contraignant de l’exécution des travaux, appliquer et améliorer les normes établies par les conseils ainsi que les mécanismes par lesquels sont élus les représentants, gérer les ressources qui devraient être allouées à leur fonctionnement. 

Le fonctionnement d’une entité de coordination du livre et de la lecture peut être optimisé par la mise en place d’une politique nationale du livre et de la lecture dans chaque pays. La présence de ces politiques, qui définissent des stratégies nationales, représente, en général, un défi pour plusieurs pays de la région. Dans certains cas leur mise en œuvre est efficace, comme en Colombie et au Mexique. Dans d’autres, des efforts sont encore nécessaires (en particulier au Chili, de la part du ministère de l’Éducation). Les plans nationaux constituent également des stratégies essentielles pour faire progresser le livre et articuler les efforts déployés en ce sens, comme dans le cas de l’Argentine et de l’Uruguay. Ces politiques permettent aux pays de s’organiser et de mettre au point leur propre système du livre.

En ce qui concerne les politiques nationales du livre et de la lecture, les personnes interrogées estiment qu’elles sont fondamentales pour le développement du système du livre ; les répondants des pays qui en sont dotés indiquent des moyens d’adapter celles-ci aux nouvelles réalités et de les améliorer ; les répondants des pays ne disposant pas de telles politiques déclarent en avoir besoin. Ces politiques complètent les lois sur la lecture et le livre, une loi seule ne pouvant se suffire à elle-même ; elles exigent également une vision systémique. 

Certaines personnes interrogées décrivent des cas dans lesquels la mise en œuvre des politiques publiques du livre et de la lecture se heurte à de grandes difficultés ; parfois des discussions et des tentatives ont eu lieu, au niveau même de certains secteurs (par exemple, au niveau universitaire), mais se sont soldées par un échec.

Au sein de la région, les bibliothèques publiques (et, dans certains cas, les bibliothèques scolaires) jouent un rôle fondamental dans l’accès et la démocratisation du livre. Dans certains pays, comme au Chili, en Colombie, au Costa Rica, au Mexique et en Uruguay, il existe des institutions de coordination des bibliothèques publiques. Dans le cas du Pérou, cette organisation est naissante. Dans celui de la Bolivie, du Guatemala et du Honduras, elle est absente.

D’après les personnes interrogées, la situation des bibliothèques publiques (et scolaires) traduit une réalité hétérogène au sein des pays de la région. Certains répondants dénoncent le manque d’approvisionnement des bibliothèques publiques, le fait qu’elles ne reçoivent pas de livres de l’État, ou très peu (généralement la Bibliothèque nationale est approvisionnée au titre du dépôt légal). D’autres, considèrent que le principal défi de la lecture et du livre tient au renforcement des bibliothèques publiques. D’autres encore, estiment que les achats publics de livres pour les bibliothèques constituent la principale force du système du livre, tout comme le soutien au réseau national des bibliothèques. 

Le cas de l’Argentine et de sa Commission nationale des bibliothèques populaires (CONABIP) mérite une attention particulière : la CONABIP est une agence gouvernementale qui coordonne et finance les bibliothèques populaires, créées et administrées par des groupes organisés de la société civile. Bien qu’il existe des bibliothèques publiques, qui dépendent du gouvernement central ou des municipalités, les associations privées qui gèrent des bibliothèques peuvent également recevoir des fonds publics pour acheter des livres, les gestionnaires de ces bibliothèques étant libres de choisir les livres qu’ils souhaitent acquérir. Ce cas est unique en son genre au sein des pays étudiés.

Dispositifs de soutien : allocation de ressources et réglementation du marché

Des fonds de soutien existent dans plusieurs pays de la région, permettant l’allocation de ressources à des projets culturels dans le domaine de la lecture et du livre. La quasi-totalité des pays qui disposent de fonds de soutien financent des projets de création littéraire, de production éditoriale et d’aide à la mobilité des éditeurs (généralement pour leurs déplacements ou pour assister à des foires du livre). 

Certains répondants soulignent la présence dans leurs pays respectifs de subventions réservées à des projets de soutien au livre (Chili, Costa Rica, Uruguay), à la formation professionnelle (Chili, Colombie, Costa Rica, Uruguay) et à la traduction (Argentine, Chili, Colombie, Mexique, Uruguay). En revanche, il n’est pratiquement pas fait mention de fonds qui seraient destinés à la publication ou à la traduction dans les langues indigènes. Cette situation est révélatrice du manque d’intérêt accordé aux expressions littéraires des peuples indigènes, et constitue un obstacle de taille à la bibliodiversité.

Un cas particulièrement intéressant concerne la nature des institutions qui évaluent les demandes de fonds pour le financement de projets. En Argentine et au Chili, les conseils du livre administrent et allouent les fonds de soutien (par le biais de jurys ad hoc). Cela signifie que la composition du conseil a un impact direct sur l’allocation des ressources aux projets culturels. Ce phénomène peut être positif d’une part, puisqu’il permet la séparation entre les objectifs culturels du pays et les gouvernements au pouvoir, en renforçant la démocratisation, la stabilité et le sens de l’État vis-à-vis des projets culturels. Elle peut être négative en revanche, si le conseil devient trop « élitiste ».

Dans d’autres pays, comme la Colombie, le Costa Rica, le Mexique, le Pérou et l’Uruguay, les fonds de soutien dépendent du ministère de la branche, et c’est le pouvoir exécutif qui choisit les jurys ad hoc pour chaque attribution de fonds. En ce sens, la conceptualisation de la culture et de ce qui est pertinent pour le pays dépend de l’appréciation du gouvernement, du choix des jurys et de la distribution des fonds. 

Un conseil, ou un jury d’attribution de fonds de soutien, qui représenterait un plus grand nombre d’acteurs et dont les membres auraient une perception différente de l’importance du livre et de la lecture, favoriserait la diversification des propositions concernant la production et la diffusion des nouveautés littéraires. Selon Puente (2011), il s’agit là de la principale source de diversité culturelle, puisque cela favoriserait concrètement la pluralité des titres et des genres, ce qui augmenterait la diversité littéraire ; une pluralité d’acteurs, représentant différentes manifestations culturelles, permettrait, par exemple, une distribution équilibrée des projets dans les différentes catégories littéraires. 

Les fonds de soutien (ainsi que leurs conseils et jurys) représentent un intérêt particulier, car ils sont un outil hautement pertinent pour le monde du livre. Les répondants sont nombreux à considérer ces fonds comme faisant partie des principaux instruments de promotion de la lecture et du livre des pays. Lorsqu’ils font défaut en pratique, leur absence est dénoncée par les personnes interrogées qui voient en eux un enjeu fondamental pour que progresse le secteur du livre. 

D’après les réponses au questionnaire, l’existence de fonds de soutien ne veut pas dire que leur présence est systématique ni récurrente. Ces mécanismes peuvent être mis en œuvre ou supprimés selon des critères politiques, par exemple, ce qui génère beaucoup d’incertitude parmi les utilisateurs, les éditeurs et les auteurs. Certains des répondants estiment qu’une politique nationale du livre permettrait de lutter contre cette tendance.

Bien qu’ils soient essentiels pour le monde du livre et de la lecture, ces fonds ne sont pas le seul mécanisme de soutien. Les réponses au questionnaire font état, entre autres, de programmes gouvernementaux visant à promouvoir la lecture, l’alphabétisation, la conservation du patrimoine, la publication d’auteurs locaux. Les personnes interrogées signalent également l’existence de certains dispositifs « traditionnels »3 de soutien à la lecture et au livre. Il s’agit notamment : de mécanismes de fixation des prix, d’encadrement des ventes, de tarifs postaux préférentiels, d’exonération fiscale, de crédits bancaires spéciaux et d’achats publics. D’autres dispositifs de soutien ou de protection sont de nature fiscale.

Certains aspects des mécanismes de soutien mis en place selon les pays sont détaillés ci-après, sur la base des réponses apportées par les personnes interrogées.

En Argentine, la loi prévoit un mécanisme de prix fixe, l’encadrement des ventes et une exonération de TVA. Il existe également des accords informels sur les tarifs postaux, et des achats publics destinés aux bibliothèques. Des lignes de crédit à taux réduit sont aussi mises à disposition par le Fonds national des arts. Enfin, des programmes nationaux sont mis en place, tels que le soutien aux bibliothèques populaires et des programmes provinciaux pour l’organisation de foires, la remise de prix et l’obtention de financements (notamment à Buenos-Aires). Les éditeurs interrogés dénoncent, entre autres, l’absence d’incitations à l’exportation, à la traduction et à l’acquisition de technologies. Plusieurs des répondants font aussi l’éloge des politiques menées par les gouvernements antérieurs à cette enquête, et de l’impulsion donnée alors à l’industrie du livre dans le pays.

En Bolivie, il n’existe pas de mécanisme de prix fixe, ni d’encadrement des ventes, de tarifs préférentiels ou de crédits. Les achats publics interviennent non pas de façon systématique, mais ponctuellement dans les bibliothèques municipales et universitaires. Les deux principaux instruments de soutien sont l’exonération de la TVA sur le livre et les initiatives gouvernementales : organisations de foires du livre locales et internationales, à l’aide d’un financement coordonné avec le Ministère ; distributions de livres aux écoliers (« Mochila escolar » ou « Sac à dos scolaire »), et un grand projet de préservation patrimoniale appelé Bibliothèque du Bicentenaire de Bolivie, qui a pour objet de rassembler et publier de nouveau les œuvres des grands auteurs de la littérature bolivienne. La remise de Prix nationaux figure parmi les mécanismes de soutien qui occupent une place importante.

Le Chili ne compte sur aucun mécanisme de prix fixe, il n’y a pas non plus d’exonération de TVA (le taux de 19 % est appliqué aux livres), ni d’encadrement des ventes, de tarifs postaux préférentiels ou de crédits industriels. En revanche, le secteur du livre compte sur d’importants achats publics systématiques de livres pour les bibliothèques publiques, les bibliothèques des écoles et des jardins d’enfants, et sur l’achat de manuels scolaires pour tous les élèves des écoles publiques. En outre, il existe des programmes gouvernementaux destinés à promouvoir les exportations de livres, et la lecture, à soutenir les bibliothèques publiques, et à encourager les remises de Prix nationaux décernés aux auteurs et aux œuvres.

Le Costa Rica bénéficie d’une exonération de TVA sur les livres, et d’achats systématiques d’ouvrages provenant des bibliothèques publiques. Il n’y a pas de mécanisme de prix fixe (bien qu’il soit respecté de façon informelle), ni d’encadrement des ventes, de tarifs préférentiels d’expédition ou de crédits spéciaux pour le marché de l’édition. Cependant, il existe des programmes gouvernementaux d’alphabétisation et de production éditoriale, comme la maison d’édition nationale et certaines initiatives universitaires.

Il n’existe aucun mécanisme traditionnel de soutien du livre au Guatemala. Il n’y a pas non plus d’achats publics de manuels scolaires, car le gouvernement imprime lui-même les textes. Le réseau des bibliothèques de la Banque du Guatemala achète des livres pour s’approvisionner, mais ces achats ne sont pas centralisés par le gouvernement. Le principal instrument de soutien à la lecture et au livre est la Foire internationale du livre du Guatemala (FILGUA), qui est organisée en collaboration avec de nombreuses institutions locales et internationales. D’autres initiatives existent comme le Comité national d’alphabétisation, et les Prix et Concours nationaux.

Le Honduras prévoit une exonération de TVA sur le livre, bien qu’elle soit commune à d’autres biens de consommation. Il n’existe aucun autre mécanisme traditionnel de soutien au livre, ni fonds pour les projets de soutien, ni programmes d’intervention du gouvernement. En revanche, des Prix nationaux sont décernés dans le domaine du livre, et le gouvernement a mis en place un Plan national d’alphabétisation. Il existe également des initiatives isolées de bibliothèques publiques ou scolaires, mais elles ne bénéficient pas d’un soutien systématique. Le développement de la lecture et du livre au Honduras s’organise principalement autour d’initiatives privées, notamment internationales telles que le Centre de coopération espagnole, la Brigade YO SI PUEDO, la Fondation Riecken, etc.

Au Mexique, la loi prévoit un mécanisme de fixation des prix, l’encadrement des ventes, des tarifs préférentiels d’expédition et l’exonération de la TVA sur les livres. Il existe également des achats publics systématiques de manuels scolaires et de livres pour les bibliothèques publiques. Ces mécanismes complètent les politiques mexicaines de développement : des fonds de soutien pour les coentreprises, projets, programmes de résidence, bourses et traduction ; un Programme de soutien au livre et à la lecture 2016-2018 ; de nombreuses foires du livre ; un Programme social d’aide financière aux bibliothèques ; un soutien aux librairies ; des initiatives gouvernementales pour favoriser la présence des éditeurs à l’étranger.

Au Pérou, le livre est exonéré de la taxe sur les ventes de marchandises, mais il n’y a pas de mécanisme de prix fixe, d’encadrement des ventes, ni de tarifs préférentiels d’expédition ou encore de crédits spéciaux pour l’édition. En revanche, des achats publics de livres, sont effectués par le ministère de l’Éducation pour les manuels scolaires, et certaines municipalités pour les bibliothèques qu’elles administrent. De plus, le gouvernement péruvien a mis en place des programmes de soutien à la lecture, complétés par la mise à disposition d’espaces permanents au sein de la Maison de la littérature. Il existe également des instruments d’incitation fiscale propres au secteur du livre, avec des crédits d’impôt pour le réinvestissement et le remboursement du revenu.

En Uruguay, le secteur du livre compte sur des tarifs préférentiels pour le transport des livres et pour les comptes électroniques, une exonération de TVA et des lignes de crédit bancaire pour les éditeurs. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation légale, le prix que les éditeurs fixent pour les livres est respecté, à l’exception des transactions effectuées via les cartes bancaires privées. Les achats publics en Uruguay ne sont pas systématiques, ils sont même rares et peu significatifs. D’autres mécanismes sont utilisés comme : les fonds de soutien et les programmes gouvernementaux pour la lecture (comme la Bibliothèque numérique), l’exportation et les foires du livre. Il existe également un Fonds d’incitation culturelle, permettant aux entreprises qui contribuent à des projets culturels de bénéficier ensuite d’une réduction d’impôts.

Les réponses formulées par les personnes interrogées, montrent que la région présente des niveaux de développement hétérogènes en termes de mécanismes de soutien et de protection du marché éditorial. Les remises de Prix nationaux existent dans tous les pays étudiés, il s’agit d’un instrument d’une grande pertinence pour le monde du livre. D’une part, il permet de valoriser symboliquement des auteurs dont la trajectoire est remarquable et, d’autre part, il représente parfois un soutien économique substantiel pour des auteurs contraints d’évoluer dans un secteur de plus en plus tributaire des lois du marché. Les prix littéraires sont considérés à plusieurs reprises par les répondants, comme un aspect positif des lois portant sur le livre et un précieux instrument de soutien aux écrivains.

Les foires du livre sont l’autre grand instrument utilisé dans tous les pays étudiés, et considérés par l’ensemble des répondants comme un mécanisme important. Les réponses au questionnaire montrent qu’il en existe un large éventail dans la région. Dans certains cas, elles sont organisées à l’initiative de l’industrie du livre, des chambres du livre et des associations d’éditeurs, souvent avec un soutien ministériel et international ; dans d’autres cas, elles sont organisées ou soutenues par les entités locales comme les provinces ou les municipalités. Il convient de noter que, dans certains pays de la région, des éditeurs indépendants organisent leurs propres foires du livre (par exemple, la La Furia del Libro et la Primavera de los libros au Chili, la Foire des éditeurs en Argentine, la Foire du livre indépendant au Mexique, etc.). 

Les foires du livre permettent de présenter aux lecteurs la diversité de l’offre éditoriale (souvent à des prix plus accessibles), de mettre en avant les nouveautés, d’initier de nouvelles activités, de mobiliser politiquement les citoyens, etc. Ces foires sont également très importantes pour l’édition indépendante et l’édition émergente. En Argentine, les responsables de bibliothèques populaires reçoivent des subventions de l’État pour approvisionner leurs bibliothèques en puisant dans le vivier des ouvrages présentés à la foire du livre ; et à Buenos-Aires, des espaces spéciaux ont été mis en place pour les petits éditeurs ou les éditeurs émergents.

L’exonération de TVA sur les livres est également un instrument de soutien utilisé dans l’ensemble de la région, à l’exception du Chili et du Guatemala. Ce traitement préférentiel du livre par rapport aux autres biens de consommation, a deux répercussions positives : il accorde une valeur spéciale au livre, et permet de démocratiser l’accès au livre. Certaines des réponses au questionnaire soulignent que l’absence d’exonération de TVA est souvent le signe d’une faible volonté politique de renforcer la valeur sociale du livre. 

Des instruments plus sophistiqués, tels que les mécanismes de prix fixes, l’encadrement des ventes, les tarifs préférentiels d’expédition ou les crédits à taux réduits n’ont pas été mentionnés par les répondants de plusieurs pays. En ce qui concerne le prix fixe, seuls les éditeurs et les professionnels d’Argentine, de Colombie, du Mexique et d’Uruguay y font référence, là où l’industrie du livre est, de façon générale, plus robuste. En particulier, seuls les éditeurs argentins et uruguayens signalent l’existence de mécanismes d’accès au crédit à taux réduit. Les réponses concernant le Pérou évoquent l’existence d’un programme de crédits d’impôt assujetti au réinvestissement des maisons d’édition. 

Les achats publics systématiques représentent un mécanisme de soutien au livre qui mérite d’être mentionné. En effet, ils sont un moteur important pour le secteur du livre : ils donnent une impulsion économique au marché éditorial, favorisent la démocratisation du livre et soutiennent la production intellectuelle locale. Toutefois, la mise en œuvre de mécanismes (transparents) d’achats publics nécessite la structuration d’un système qui les coordonne et les réglemente. La mise en place d’achats publics est un effort important de la part des pays afin de garantir plus de transparence, de diversité et de pérennité. 

Les achats publics mentionnés par les personnes interrogées dans divers pays témoignent de l’intérêt de la région en faveur d’un soutien permanent au livre : en Argentine, au Chili, en Colombie, au Costa Rica, au Mexique et au Pérou, ils permettent l’acquisition de livres pour les bibliothèques publiques et scolaires et/ou des manuels scolaires pour les élèves. 

Malgré la présence d’achats publics et de systèmes qui en assurent la pérennité, la difficulté pour les pays à l’heure actuelle, réside dans la concentration économique des fournisseurs. Les personnes interrogées expliquent ainsi qu’en Argentine, au Chili, en Colombie et au Costa Rica, une part importante des achats publics se retrouve entre les mains de quelques fournisseurs, et notamment des grands groupes de maisons d’édition. Certains des répondants dénoncent, par exemple, le monopole exercé de manière générale par les multinationales Penguin Random House et Planeta, et celui de Santillana et SM sur les manuels scolaires.

Une autre difficulté liée aux achats publics réside dans l’importance des acquisitions de livres importés, au détriment de la production locale. Normalement, les ressources mobilisées par les États pour les achats publics correspondent à une part significative des budgets ministériels, de façon à exploiter des circuits vertueux qui se concentrent sur la production locale. 

En résumé, certains des défis les plus urgents dans le domaine du livre et de la lecture, pour les pays dotés de divers mécanismes de soutien, portent sur la « déconcentration économique » du marché de l’édition, pour faciliter l’accès au livre et encourager la bibliodiversité. C’est ce qu’affirment les éditeurs d’Argentine, du Chili, du Costa Rica (notamment concernant les manuels scolaires), de Colombie, du Guatemala (face aux importations) et d’Uruguay. Dans le cas de la Bolivie, le marché de l’édition est encore si petit, qu’il n’intéresse pas les grandes multinationales. Le cas du Mexique est d’autant plus particulier que la concentration du marché de l’édition provient de l’État lui-même.

Participation : associations et systèmes d’information 

Dans chaque pays, il existe de nombreuses associations professionnelles dont l’objectif est de soutenir l’industrie du livre, par des actions coordonnées telles que les foires du livre et la participation aux politiques publiques. Les personnes interrogées ont cité un grand nombre de ces associations dont voici la liste, par pays : 

En Argentine : la Chambre argentine du livre (Cámara Argentina del Libro – CAL), la Chambre des publications (Cámara de Publicaciones – CAP), la Chambre de la papeterie (Cámara de Papelería – CAPLA), des associations d’éditeurs indépendants (EDINAR, La Coop), d’écrivains (SADE, SEA), de gestionnaires de droits (CADRA). 

En Bolivie : seules les Chambres du livre nationales (Cámara Boliviana del Libro) et départementales (La Paz, Cochabamba, Santa Cruz, Oruro) ont été identifiées.

Au Chili, les répondants ont mentionné : la Chambre chilienne du livre (Cámara Chilena del Libro – CChL), des associations d’éditeurs indépendants (Editores de Chile, Furia del Libro), la Corporation du livre et de la lecture (Corporación del Libro y la Lectura – CLL) qui regroupe principalement des éditeurs étrangers au Chili, le Collège des bibliothécaires (Colegio de Bibliotecarios), et des associations d’auteurs (SECH, Letras de Chile).

En Colombie, les associations identifiées sont : la Chambre colombienne du livre (Cámara Colombiana del Libro – CCL), des associations d’éditeurs indépendants (REIC, Diligencia), d’écrivains (de la Costa, PEN Colombia, Caucana), de bibliothécaires (ASCOLBI) et de libraires (ACLI). 

Au Costa Rica, ont été citées : la Chambre costaricaine du livre (Cámara Costarricense del Libro – CCL), les Éditions universitaires publiques (Editoriales Universitarias Públicas – EDUPUC), le Collège des bibliothécaires (Colegio de bibliotecarios – COPROBI), le Réseau (informel) des librairies et libraires indépendants, des Associations d’écrivains et de poètes (ACE, Círculo), le Système national des bibliothèques d’enseignement supérieur, et des écrivains (Escritores Costarricenses, Escritorías, Turrialba, Independientes).

Au Guatemala, les associations identifiées sont : l’Association des éditeurs du Guatemala (Asociación Gremial de Editores de Guatemala – FILGUA), Association des libraires du Guatemala (Asociación de Libreros de Guatemala – ASLIGUA), l’Association des bibliothécaires du Guatemala (Asociación de bibliotecarios de Guatemala), et l’Association pour la gestion des droits (Asociación para la gestión de derechos – AEI).

Au Honduras, ont été mentionnées : l’Association des bibliothécaires et des documentalistes du Honduras (Asociación de Bibliotecarios y Documentalistas de Honduras – ABIDH), l’Union des écrivains et des artistes du Honduras (Unión de Escritores y Artistas de Honduras – UEAH), PEN Honduras, l’Académie hondurienne de la langue (Academia Hondureña de la Lengua – AHL) et la Société littéraire (Sociedad Literaria – SOLIHO).

Au Mexique, il s’agit : des associations éditoriales (CANIEM) et indépendantes (Altexto, flm AEMI), des associations de libraires (ALMAC, AMATL) et de la Société générale d’écrivains (Sociedad General de Escritores – SOGEM).

Les répondants du Pérou ont cité : la Chambre péruvienne du livre (Cámara Peruana del Libro – CPL), les associations d’écrivains (ANEA, AEADO), d’éditeurs indépendants (EIP) et le Collège de bibliothécaires du Pérou (Colegio de Bibliotecólogos del Perú – CBP).

En Uruguay, les associations identifiées sont : la Chambre uruguayenne du livre (Cámara Uruguaya del Libro – CUL), les associations de bibliothécaires (ABU, ABCU), d’écrivains (Colegio, Casa, Autores), et d’éditeurs (AEU).

La diversité des disciplines et des acteurs au sein des associations encourage la bibliodiversité, en particulier compte tenu de la nature indépendante de nombre d’entre elles. Ces associations distribuent des livres au niveau communal, organisent d’importantes foires du livre, des activités de plaidoyer et de participation politique et culturelle, des discussions sur les politiques publiques, la défense d’activités indépendantes, des manifestations en faveur de la bibliodiversité, elles tiennent des stands communs pendant les foires du livre, etc. 

D’autre part, et en complément du rôle joué par les associations, les réponses au questionnaire rendent compte de l’existence de systèmes d’information étatiques sur le monde du livre. Disposer de statistiques et d’informations transparentes sur le livre et la lecture peut favoriser la participation politique et sociale en faveur de politiques publiques du livre. Les auteures Puente (2011), d’une part, et Allerbon (2011), d’autre part, soulignent la nécessité de systèmes, publics, d’information qui permettent de connaître et de quantifier la situation du monde du livre, afin de renforcer le rôle et la participation de la société civile dans la sphère politique.

Les réponses au questionnaire rendent compte de l’existence de nombreux systèmes d’information culturelle dans la région ; par exemple, le Système d’information culturelle de l’Argentine (Sistema de Información Cultural de la Argentina – SINCA), l’Enquête nationale sur la participation culturelle (Encuesta Nacional de Participación Cultural) et l’Observatoire du livre et de la lecture (Observatorio del Libro y la Lectura – OLL) au Chili, l’Enquête nationale sur la lecture (Encuesta Nacional sobre Lectura) en Colombie, l’Enquête nationale sur la culture (Encuesta Nacional de Cultura – Sicultura) au Costa Rica, l’Enquête nationale sur la lecture et l’écriture (Encuesta Nacional de Lectura y Escritura) à l’Observatoire du livre au Mexique, InfoArtes au Pérou, et l’Observatoire universitaire des politiques culturelles (Observatorio Universitario de Políticas Culturales) en Uruguay. Il existe également un soutien au niveau international pour la production d’informations systématiques sur la culture, la lecture et l’industrie du livre. L’Organisation des États ibéro-américains (OEI) et les comptes satellites pour la culture de l’UNESCO en sont un exemple dans la région.

La complémentarité entre associations professionnelles diverses, politiquement sous tension (certaines indépendantes, d’autres liées à de grands groupes d’édition, d’autres axées sur la dimension culturelle, etc.) ayant accès à des systèmes d’information à jour, et soutenues par l’État, sont une force des systèmes du livre dans la région.

Conclusion

Cet article a cherché à décrire la situation des politiques publiques du livre et de la lecture en Amérique latine, à partir du témoignage des acteurs de l’industrie du livre. 

La conception, la mise en œuvre, et l’exécution des politiques nationales du livre et de la lecture restent un défi dans les pays de la région. La situation de ces politiques est diverse : certains pays ont rompu le dialogue, d’autres discutent de la conception de ces politiques, d’autres encore s’efforcent de les mettre en place et de les appliquer (les réponses ne mentionnent pas d’étapes d’évaluation).

Les politiques nationales du livre et de la lecture participatives constituent la feuille de route des pays pour encourager la lecture, démocratiser l’accès au livre et évoluer vers des sociétés plus critiques et démocratiques (également plus heureuses). L’absence de ces politiques publiques nuit à l’écosystème du livre, car elle complique l’orientation de la mise en œuvre de décisions, dans un système où les initiatives sont prises sans consultations réciproques.

Les enjeux actuels identifiés par les acteurs du livre, tels que la piraterie, le photocopillage, la présence excessive de maisons éditoriales étrangères sur le marché local, les importations élevées de livres, la faible visibilité de la production locale, l’absence de représentation de la culture indigène, la faible transparence et la concentration des achats publics, le manque de lecteurs et le manque d’informations, sont, entre autres, des problèmes qui nuisent à la bibliodiversité, et peuvent être appréhendés localement par des politiques nationales.

Forts d’une base solide d’associations indépendantes, organisées, actives et coordonnées à l’échelle internationale, de nombreux pays d’Amérique latine ont toutes les cartes en main pour défendre la bibliodiversité au sein de leur marché éditorial. Les éditeurs indépendants étant des acteurs majeurs de la bibliodiversité, il est nécessaire de renforcer leur rôle dans le développement de politiques publiques qui protègent, favorisent et contribuent à propager la bibliodiversité.

Les politiques nationales sont un puissant levier lorsqu’elles soutiennent explicitement l’équilibre et la participation des acteurs. Au contraire, si l’on ne tient pas compte de ces facteurs, les politiques publiques exacerbent la concentration et la marginalisation de la production locale.

La dynamique des politiques actuelles dans la région, ainsi que les progrès inéluctables de la technologie, modifient de plus en plus rapidement les structures sociales et politiques. Il est essentiel aujourd’hui de continuer à promouvoir l’importance des politiques publiques du livre et de la lecture pour démocratiser le livre, en élargissant l’accès aux secteurs les plus marginalisés, en encourageant la compréhension de la lecture et la créativité, et en luttant contre les violations de droits, le manque de libertés, le manque de transparence dans les achats publics et la concentration du pouvoir économique et politique. Asseoir la mise en place de politiques publiques du livre et de la lecture inclusives, diversifiées et participatives qui favorisent la production intellectuelle locale, représente aujourd’hui un enjeu fondamental au sein des pays d’Amérique latine, transversal à de nombreux autres défis tels que l’équité, l’éducation, la santé et le bien-être des populations.

Revue Bibliodiversity

En complément de cette analyse, un numéro de la revue Bibliodiversity consacré aux politiques publiques du livre a été publié. Composé d’articles universitaires, de témoignages de professionnel.le.s du livre et des deux analyses régionales présentées ici, ce numéro de la revue est disponible en ligne sur le site de Double Ponctuation et de l‘Alliance internationale des éditeurs indépendants.

Remerciements 

L’Alliance internationale des éditeurs indépendants remercie très chaleureusement la Fondation de France et la Direction du développement et de la coopération DDC en Suisse pour le soutien apporté au projet de cartographie des politiques publiques du livre en Afrique subsaharienne francophone.